« Plus jamais ça » a été le cri de ralliement des survivants depuis la Libération.
Et pourtant, camarades, en dépit des monstruosités commises durant la Seconde Guerre mondiale par les puissances de l’Axe, l’idéologie raciste et xénophobe véhiculée par l’extrême-droite n’a pas disparue.
Bien au contraire, celle-ci connaît en France une audience inquiétante. Aux élections présidentielles de 2012, 6,4 millions de personnes ont voté pour Marine Le Pen, c’est-à-dire plus d’un votant sur dix. Et je ne parle là que de moyenne, car dans certains territoires, les résultats sont bien plus élevés.
Ce mouvement n’est pas propre à la France, mais concerne bien l’Europe dans son ensemble : Droit et Justice en Pologne (37 %), Parti de la Liberté d’Autriche (20,6 %), Ukip au Royaume-Uni (12,6 %), Aube Dorée en Grèce (7 %).
Face à l’extrême-droite, le mouvement syndical et la CGT en particulier n’est jamais resté inactif, comme le rappellent les manifestations antifascistes en réponse au 6 février 1934, la Résistance contre le régime de Vichy et les troupes d’occupation nazie, la lutte contre l’Organisation de l’Armée Secrète (OAS) durant la guerre d’Algérie, les victoires judiciaires obtenus contre les syndicats Front national au milieu des années quatre-vingt-dix ou plus récemment la campagne intersyndicale permanente lancée en 2014 par la CGT, la FSU, Solidaires, l’UNEF, l’UNL et la FIDL.
Malgré tout, on perçoit dans les bases syndicales, parmi les militants, des réticences à affronter avec les syndiqués, avec les salariés, l’essor du Front national et de ses idées. Parmi les causes, on relève le trouble produit par le virage « social » du discours frontiste amorcé en 1995 et réactivé depuis 2007, l’inquiétude produite par l’idée que le Front national serait le « premier parti ouvrier de France », la peur de perdre des adhérents ou de voir réduire son audience électorale.
Le rôle de l’Histoire est d’être une arme pour les militants dans leur activité quotidienne, un outil pour nourrir leurs réflexions et pour aiguiser leur argumentaire.
Pour combattre son ennemi, il est important de le connaître, c’est pourquoi je vous propose de revenir maintenant sur l’histoire du Front national.
Profondément discréditée depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’extrême-droite française reprend vigueur lors des événements de mai-juin 1968. En novembre 1969, un groupuscule intitulé Ordre Nouveau naît des cendres du groupe Occident, dissous un an plus tôt par le ministère de l’Intérieur. Ordre Nouveau, dont la ligne idéologique est pétrie de nostalgie envers le régime de Vichy et l’Algérie française et d’une profonde admiration pour le fascisme, se donne pour mission de contrer la montée du « péril communiste ».
La naissance du Front national (1972)
Rapidement, la volonté s’affirme de rassembler les forces dispersées de la droite nationale et radicale au sein d’une structure unitaire, un Front national, dont la colonne vertébrale serait les militants d’Ordre Nouveau. Un ancien député poujadiste, vétéran de la guerre d’Algérie, est désigné pour prendre la tête du nouveau parti : Jean-Marie Le Pen. Le 5 octobre 1972, le Front national est officiellement créé.
On y trouve quelques anciens résistants de droite, d’anciens vichyssois, des partisans de l’Algérie française ou encore des royalistes. Parmi les soutiens financiers de la première heure, on trouve le MSI italien – Mussolini Sempre Immortal (Mussolini toujours immortel) ou encore Hubert Lambert, propriétaire des cimenteries du même nom, dont l’héritage donna en 1977 les moyens matériels à Jean-Marie Le Pen de poursuivre son action. Sa ligne politique, anti-communiste et anti-gaulliste, défend la famille, l’école, le travail, la nation et l’État national.
Dès sa création, le Front national est conçu pour afficher un visage plus présentable, plus respectable, capable de rallier un électorat modéré, tout en conservant des attaches étroites avec des organisations plus radicales n’hésitant pas à s’affronter physiquement avec la gauche et l’extrême-gauche (le Groupe Union Défense – GUD par exemple).
La première crise (1973-1983)
En 1973, le Front national mène sa première grande campagne électorales pour les législatives. Le résultat est cuisant. La conséquence immédiate est une première scission au sein de l’organisation, avec le départ d’une partie importante des militants d’Ordre Nouveau, déçus du virage électoraliste pris par le FN. Ils décident de créer le Parti des Forces Nouvelles (PFN) après la dissolution de leur groupe en juin 1973 par le ministère de l’Intérieur.
Vidé de ses militants, le Front national devient, pour les dix années à suivre, un parti groupusculaire, à la marge.
Lors de la campagne législative de 1978, le FN opère un tournant doctrinal. Il se concentre désormais sur l’immigration et l’identité nationale. Son slogan « Un million de chômeurs, c’est un millions d’immigrés de trop », devient un fil rouge de la propagande frontiste.
Mais les difficultés financières, les luttes intestines et les désillusions électorales (européennes de 1979, présidentielles et législatives de 1981) contrarient une nouvelle fois les prétentions d’un parti qui compte moins de 300 adhérents au début des années quatre-vingt.
La percée frontiste (1983-1987)
La percée a lieu lors des élections municipales de 1983, avec l’élection de Jean-Pierre Stirbois comme adjoint au maire de Dreux et de Jean-Marie Le Pen comme conseiller d’arrondissement à Paris (XXe). En février 1984, Jean-Marie Le Pen participe à l’émission politique télévisée L’Heure de Vérité à la fin de laquelle il se lève et observe une minute de silence « en mémoire des millions de morts du Goulag et de la répression stalinienne ». Cet épisode déclenche un afflux important d’adhésions.
Comment expliquer cette percée ? Plusieurs facteurs sont à prendre en compte.
1/ Le parti socialiste, même si celui-ci s’en défend, a tout intérêt à voir la droite divisée, concurrencée à son extrême-droite par le FN. Plus ce dernier sera fort, plus la gauche aura de chance de l’emporter. L’intervention de Mitterrand auprès de la Radio-Télévision offre au Front national une présence accrue dans les médias, tandis que l’adoption du suffrage proportionnel aux élections législatives de 1986 offre 35 sièges au Front national.
2/ La crise économique et ses conséquences, le recul des organisations syndicales et politiques de gauche, notamment dans les quartiers populaires, la dégradation des conditions de vie constituent un terreau favorable à l’implantation du Front national.
Celui-ci l’a bien compris en prenant comme thèmes centraux de campagne l’immigration, l’insécurité, le chômage. En outre, le charisme et le bagout de Le Pen fascinent immédiatement les journalistes qui lui offrent une tribune inespérée.
3/ L’arrivée au pouvoir de la gauche socialiste et communiste en 1981 a enfin mobilisé la bourgeoisie, dont certains secteurs ont pu financer plus largement le Front national. Et ce d’autant plus le septennat précédent, celui de Valéry Giscard d’Estaing, avait déstabilisé une partie de son électorat en adoptant certaines mesures comme le droit à l’interruption volontaire de grossesse.
Les élections qui suivent confirment l’enracinement électoral du FN et sa professionnalisation. Il accueille en son sein une nouvelle génération d’énarques et de polytechniciens, pour la plupart issus du Club de l’Horloge ou de la Nouvelle Droite (le GRECE). Parmi eux, un certain Bruno Mégret. Une nouvelle fois, des tensions entre ses différentes tendances tourmentent l’organisation.
À l’Assemblée nationale, les députés frontistes déposent 63 propositions de loi et plusieurs amendements qui défendent dans leur ensemble le principe de la « préférence nationale ».
La campagne présidentielle de 1988 mobilise toute les attentions. Mais le 13 septembre 1987, à l’occasion d’une émission sur RTL, Jean-Marie Le Pen explique que les chambres à gaz sont « un point de détail de l’histoire de la Deuxième Guerre mondiale ». La condamnation de ces propos est unanime et il devient désormais l’homme politique infréquentable. Après les présidentielles et les législatives, le Front national est de nouveau à terre, avec des problèmes de trésorerie, une défection de ses militants et cadres, un seul député.
L’empreinte mégretiste (1988-1999)
Le décès en 1988 de Jean-Paul Stirbois, pilier de la structuration du Front national depuis 1977, ouvre une nouvelle ère, celle de Bruno Mégret.
L’appareil poursuit sa professionnalisation, notamment du point de vue de la propagande, de l’argumentation économique et scientifique et de la formation des cadres militants. L’idéologie frontiste est également renouvelée en profondeur, notamment avec la disparition de son meilleur ennemi, le communisme, avec la chute du mur de Berlin en 1989.
La mainmise de Bruno Mégret sur le parti s’accroit année après année, tandis que Bruno Gollnisch, le successeur désigné, n’entend pas se laisser déposséder.
Après l’élection présidentielle de 1995, Bruno Mégret met en scène le tournant « social » du Front national, en créant des pseudo-syndicats dans la police, la RATP, les transports, tout en dénonçant les syndicats « marxistes », le droit de grève, en remettant en cause les prestations sociales et en préconisant la retraite par capitalisation.
Le 1er mai 1996, Jean-Marie Le Pen prononce un discours dans lequel il salue « la longue lutte des travailleurs et des syndicats pour plus de justice, de sécurité, de liberté dans le travail. »
Désormais, les délocalisations, les licenciements massifs sont repérés et exploités par les militants frontistes qui mettent en avant un bouc émissaire tout trouvé au chômage : l’immigré.
En 1995, aux élections municipales, le FN emporte quatre mairies dans le sud de la France : Orange, Toulon, Marignane et Vitrolles qui deviennent des laboratoires de la politique frontiste. On retrouve aujourd’hui à Hénin-Beaumont, Hayange, Fréjus ou encore Béziers les mêmes ingrédients utilisés à l’époque : plus de moyens pour la police, des budgets d’austérité s’attaquant en priorité au personnel municipal, à la culture et aux associations dont la position est hostile à l’extrême-droite, mise en œuvre de la « préférence nationale » pour le logement, la cantine scolaire, etc.
L’opposition entre Bruno Mégret et Jean-Marie Le Pen ne cesse de grandir jusqu’à éclater après le congrès de Strasbourg de 1998. En 1999, la rupture est consommée entre les deux lignes politiques : Jean-Marie Le Pen refuse toute alliance avec la droite de gouvernement tandis que Bruno Mégret défend une ligne d’ouverture qui s’inscrit dans une stratégie de recomposition de la droite.
Une nouvelle fois, l’hémorragie militante est importante. La bête est à terre mais ces idées ne sont pas mortes, notamment grâce au développement des thématiques sécuritaires par la droite et la gauche.
Vers la consécration de Marine Le Pen (depuis 2002)
L’élection présidentielle de 2002 le démontre, en portant Jean-Marie Le Pen au second tour face à Jacques Chirac. Pour la première fois depuis 1945, l’extrême-droite peut postuler à la direction du pays mais, de l’aveu même de son dirigeant, elle n’était pas prête à cette éventualité. La mobilisation contre le Front national, large et importante, fait barrage.
Une nouvelle venue fait son apparition dans les médias et dans les circonscriptions du Nord, une certaine Marine Le Pen, dont les prétentions ne cesseront de s’accroitre.
L’élection présidentielle de 2007, orchestrée par Marine Le Pen, sont une douche froide. Le Front national perd un million de voix, notamment en raison de la récupération de ses thèmes par Nicolas Sarkozy.
Marine Le Pen prend progressivement la direction du parti et impose sa ligne politique, pour « dédiaboliser » le FN tout en accentuant les accents « sociaux-populistes ». Elle s’impose finalement lors du congrès de 2011, où Jean-Marie Le Pen passe définitivement la main et écarte Bruno Gollnisch, représentant de la tendance dure défavorable à l’ouverture et à la remise en cause de l’identité frontiste.
Démonter le discours « économique et social » du Front national
Sur la dédiabolisation
Depuis 2011, les dirigeants frontistes et les médias relaient l’idée selon laquelle la « dédiabolisation » du Front national serait en cours, justifiant ainsi sa normalisation dans le paysage politique français. Le FN est-il un parti comme les autres ? Non.
Deux tendances s’opposent depuis 1972 au sein du Front national. La première, dite de la normalisation, consiste à considérer que la conquête du pouvoir passe nécessairement par une série d’ajustements, permettant de réunir l’électorat de droite le plus large possible. La seconde, dite de la radicalisation, repose à l’inverse sur l’hypothèse que l’affaiblissement des forces de droite « classiques » et la diffusion des idées défendues par le Front national permettront à terme de prendre le pouvoir sans avoir à cacher son projet idéologique. La première, défendue aujourd’hui par Marine Le Pen, s’inscrit ainsi dans le projet de création du Front national, façade légaliste du groupe Ordre Nouveau ou du projet de Bruno Mégret.
Mais attention, si Marine Le Pen écarte quelques membres jugés sulfureux, une rapide étude de son entourage démontre clairement ses liens avec les nationalistes-révolutionnaires ou encore les néo-nazis. Elle explique ouvertement avoir besoin de « ces deux plateaux de la balance ».
Pour exister médiatiquement et pour conforter ses soutiens les plus radicaux, elle n’hésite pas non plus à provoquer. Par exemple : le 8 mars 2012, elle propose de « dérembourser » ce qu’elle appelle les « avortements de confort », tandis qu’en novembre 2014, elle stigmatise « l’idéologie du métissage » qui aurait pour effet de « camoufler l’extinction accélérée de la diversité des sociétés humaines ». Vous noterez au passage les précautions de langage prises pour éviter d’être taxée de racisme.
Le problème est la banalisation des propos et des thèmes de l’extrême-droite, avec une grande porosité au sein de la droite « classique », via la Droite Forte au sein de l’UMP ou au sein des souverainistes.
Cette banalisation est alimentée par les médias qui relaient avec délectation les petites phrases, traitent avec parti pris les sujets comme l’islam, l’immigration, la crise économique, la criminalité, les faits divers et invitent tout naturellement le FN à intervenir. Un exemple particulièrement écœurant, davantage que les unes du mensuel Le Point. Le lundi 8 août 2016, l’intitulé du « Débat de midi » sur France Inter, une radio du service public, était le suivant : « Que reste-t-il du Front populaire ? ». Quatre invités : François Reynaert (journaliste à L’Obs), Nicole Masson (historienne), Jean Vigreux (historien) et… Florian Philippot !
L’autre problème est que ces propos et ces thèmes ne soulèvent plus l’indignation et ne se traduisent plus par une sanction dans les sondages et les urnes, comme cela a été le cas après une émission en septembre 1987 sur RTL, dans laquelle Jean-Marie Le Pen avait expliqué que les chambres à gaz étaient « un point de détail de l’histoire de la Deuxième Guerre mondiale ».
Le programme économique et social du Front national
Depuis 2011, le Front national a infléchit de manière importante son discours, au point que Marine Le Pen se présente aujourd’hui comme la championne dans la défense de la république, des travailleurs, des femmes, du logement ou encore de la laïcité. Le FN est-il un parti au service des salariés ? Non.
La première inflexion « sociale » du Front national avait été organisée par Bruno Mégret lors des grèves de l’hiver 1995. La concurrence exercée par l’UMP à partir du milieu des années 2000 sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy sur les questions identitaires et d’immigration et l’approfondissement de la crise économique à partir de 2008 ont motivé cette seconde inflexion « sociale » sous la houlette de Marine Le Pen depuis 2011.
Depuis la fin des années 1990, le FN a progressivement rééquilibré son programme entre les questions économiques et les thèmes « culturels » (immigration, sécurité, défense des valeurs traditionnelles), en faveur des premières.
En matière économique et social, le contenu a singulièrement évolué, puisque l’on est passé d’une défense d’un libéralisme économique à la Reagan au début des années quatre-vingt, à une position dénonçant la mondialisation et se prononçant pour un protectionnisme économique au plan international, sans pour autant abandonner ses préférences plus libérales sur la scène intérieur. À la veille des élections de 2012, le FN revendique une intervention accrue de l’Etat, la défense des services publics contre l’austérité, le maintien des acquis sociaux, le développement de la demande, une plus grande progressivité fiscale. Le protectionnisme sur le plan international est renforcé, notamment avec l’Europe des nations et la sortie de l’euro.
Marine Le Pen défend ainsi un discours national, populaire, axé sur l’emploi, la lutte contre le chômage, la détresse sociale, la défense du pouvoir d’achat, le sauvetage des emplois menacés par la mondialisation, la restauration des frontières : elle se fait, comme Bruno Mégret en son temps, le chantre d’un « nouveau protectionnisme » pour assurer la « renaissance de notre civilisation et le printemps de la France ». Il s’agit d’un nationalisme pragmatique : produisons français, avec des français, dans des entreprises françaises.
Ce discours peut avoir de l’écho parmi celles et ceux qui sont frappés par la précarité, la misère et qui considèrent le personnel politique actuel comme incapable de fournir une alternative crédible susceptible d’améliorer leur situation.
Mais, au-delà du discours, que défend réellement le FN dans son programme ?
Il faut tout d’abord noter que la lutte contre l’assistanat et la fraude sociale, la critique de la décentralisation, l’hostilité à l’encontre des syndicats, le critère de la « préférence nationale » pour bénéficier des mesures de redistribution, ont été conservés et emballés dans un discours des « gros contre les petits » (artisans, commerçants, petits entrepreneurs, agriculteurs, ouvriers, employés).
Quatre exemples pour s’en convaincre :
Sur la revendication de retraite à 60 ans, le Front national propose 40 annuités de cotisation, une mesure financée par une baisse des cotisations chômage et l’exclusion de 3,5 millions d’étrangers du système. La CGT revendique pour sa part un taux de remplacement de 75 % au minimum égal au SMIC, un départ anticipé pour pénibilité, la prise en compte des années d’études et un financement par le plein-emploi et la réduction des inégalités salariales femmes/hommes.
Sur la revendication de hausse des salaires, le FN propose d’augmenter les bas salaires de 200 euros nets, le tout financé par une baisse des cotisations sociales, c’est-à-dire le même système que les exonérations Fillon et le CICE (jusqu’à 2,4 fois le SMIC).
Sur la fiscalité, le FN propose la suppression de l’ISF, le prélèvement à la source et la fusion de l’impôt sur le revenu, de la CSG, de la CRDS et des cotisations sociales salariales, l’unification de la loi de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale tandis que la CGT réclame la suppression des exonérations de cotisations sociales, une taxation plus forte du capital, une plus grande progressivité de l’impôt sur le revenu.
Un dernier exemple, pour achever de se convaincre. Quelle attitude le FN a-t-il eu durant la mobilisation contre la loi « Travail » ?
Florian Philippot, tout comme Marine Le Pen, ont tout deux affirmé que leur parti s’est « battu dès la première seconde contre la Loi El Khomri ». Force est de constater qu’il a pourtant été largement silencieux durant le mouvement. Bien au contraire, plusieurs amendements ont été déposés par les sénateurs FN Rachline et Ravier pour la suppression du compte pénibilité, le doublement des seuils sociaux ou encore la limitation du « monopole syndical ». Si ces amendements ont été retirés à la demande de la direction du parti, il faut dénoncer le double discours tenu. Autre exemple, le 15 juin 2016, Marine Le Pen expliquait : « Je fais la part des choses entre la légitime contestation de la loi travail par les Français, que nous combattons depuis le premier jour et qui n’est que l’imbécile traduction de recommandations européennes (…) et l’action de ces hordes d’extrême gauche que personne ne devrait accepter de voir sévir sur notre territoire », tandis que son compagnon Louis Aliot déclarait la veille, dans Le Journal du Centre, que « la grève est un système archaïque ».
Le FN est clairement un parti au service du patronat et non des salariés et son discours est opportuniste et cynique. Pour s’en assurer concrètement, il suffit de regarder ce qu’il se passe dans les mairies tenues par le FN. En voici quelques illustrations :
A Hénin-Beaumont, « vitrine municipale du FN », Steeve Briois a débuté son mandat en annonçant le retrait du local attribué à la Ligue des Droits de l’Homme.
Cyril Nauth, maire de Mantes-la-Ville, a interdit aux élus de gauche de déposer une gerbe à la mémoire de la déportation le 27 avril 2014.
Les premières mesures antisociales et d’austérité n’ont également pas non plus tardé. Au Pontet, le maire FN a supprimé la gratuité de la cantine scolaire pour les enfants de famille démunies, sous prétexte de « responsabiliser les familles » et d’économiser 30 000 euros, sur un budget municipal de 50 millions d’euros, tandis que d’autres mairies suppriment les subventions versées aux centres sociaux, comme à Fréjus, réduise le personnel comme à Baucaire, coupe clair dans les subventions à la culture et aux loisirs.
Les sorties sécuritaires se sont également multipliées. A Béziers, Robert Ménard est ainsi à l’origine de l’interdiction pour les mineurs de 13 ans de circuler la nuit, du lancement d’une « garde bitteroise » ou encore de l’armement de la police municipale.
Le Front national « premier parti de France » et « premier parti ouvrier de France »
Depuis l’élection présidentielle de 1995 et la proclamation du Front national comme « premier parti ouvrier de France », il existe un important débat médiatique et scientifique. L’hypothèse avancée est qu’une partie toujours plus importante de l’ancien électorat ouvrier de gauche passerait dans le camp de la protestation en votant Front national.
Ceci n’est évidemment pas anodin. Le vote des ouvriers, qui représentent encore 25 % des actifs sans compter les retraités, est important d’un point de vue numérique, mais également d’un point de vue symbolique.
L’analyse sur le temps long démontre que depuis la fin des années 1970, on observe un recul spectaculaire du vote pour les partis de gauche parmi les ouvriers. En 1988, 60 % des ouvriers se prononçaient pour la gauche, contre 40 % en 2012. L’extrême-droite est pour sa part passée de 17,6 % à 30,9 %. Une analyse plus fine démontre que la montée en puissance de l’extrême-droite parmi les ouvriers s’est fait au sein de l’électorat ouvrier de droite, au détriment de la droite « classique ».
Contrairement à ce qui est brandi dans les médias, ce ne sont pas les ouvriers retraités de gauche qui vote désormais Front national, mais plutôt les nouvelles générations d’ouvriers qui, subissant de plein fouet la précarité, la déqualification, le chômage et la peur de la mondialisation, se tournent davantage vers la droite et l’extrême-droite.
Le Front national n’est pas aujourd’hui non plus le « premier parti de France », puisque l’abstention est clairement majoritaire. Les résultats lors des dernières européennes montreraient qu’« un électeur sur quatre » aurait voté FN (24,86 %). Pourtant, une lecture plus juste serait de considérer les inscrits (incluant donc l’abstention, les nuls et les blancs). Dès lors, le score du FN aux européennes de 2014 chute brutalement (10,12 %) et se retrouve en-deçà du fameux 1er tour de l’élection présidentielle de 2002 (11,66 %). La progression frontiste est certes élevée, mais il reste un parti marginalisé : 61 conseillers départementaux sur 4 108, 2 députés sur 577, 2 sénateurs sur 348, 15 communes sur plus de 50 000.
Il ne s’agit pas de nier le problème, mais de situer correctement les choses. Le Front national pesait déjà entre 10 et 20 % des votes dans les années 1980, et il a connu d’importants flux et reflux dans son électorat et parmi ses adhérents.
Toutefois, son discours actuel et l’écho médiatique que rencontrent ses dirigeants et son programme doivent être combattus pied-à-pied, en attaquant le mal à la racine, c’est-à-dire à la crise économique et sociale, terreau fertile qui alimente le racisme, la xénophobie, la peur de l’autre.
En conclusion. Quelle ligne syndicale ?
Le programme de l’extrême-droite, l’écho médiatique et sa porosité avec la droite et la gauche « classique » (songez à la gestion des réfugiés politiques ou à la déchéance de nationalité) doivent être combattus pied-à-pied. Il ne faut rien laisser passer, que ce soit au travail, en famille ou avec ses amis.
Le programme de l’extrême-droite, économiquement favorable au patronat et socialement fondé sur la division, le rejet de « l’autre », doit être attaqué à la racine, c’est-à-dire à la crise économique et sociale, ce terreau fertile qui est labouré mois après mois par la bourgeoisie et ses relais médiatiques.
La politique, comme la nature, a horreur du vide ! Si le mouvement syndical n’apporte pas des perspectives en termes d’organisation, de luttes et de revendications qui soient saisissables par les travailleurs et notamment la jeunesse, cette situation ne peut que s’aggraver.
Face à cela, il ne faut pas être fataliste, mais être convaincu – et convaincant – qu’une autre voie est possible. Il faut débattre avec les salariés, les syndiqués, en étant fermes sur nos principes, mais souples dans les discussions, de manière à faire comprendre que l’extrême-droite n’est pas une solution pour les travailleurs.
A notre disposition, pour parfaire notre argumentaire, nous avons de nombreuses publications, supports audiovisuels produits par la confédération et la Fédération, de nombreux sites internet, des ouvrages ainsi qu’une formation syndicale de deux jours. Il n’y a plus qu’à y aller !
Pour aller plus loin
Repères bibliographiques
« Le Front populaire », Pouvoirs. Revue française d’études constitutionnelles et politiques, 2016, n° 157, 184 pages.
« Le Front national démasqué par l’histoire », Cahiers de l’Institut CGT d’histoire sociale, numéro spécial, 2012, 47 p.
L’extrême-droite au travail. L’extrême-droite et le mouvement syndical, de 1898 à nos jours, Montreuil, IHS CGT Métallurgie, 2016, 16 p.
Dominique Albertini, David Doucet, Histoire du Front national, Paris, Tallandier, 2013, 384 pages.
Pierre-Yves Bulteau, En finir avec les idées fausses propagées par l’extrême-droite, Paris, Éditions de l’Atelier, 2014, 168 p.
Monica Charlot, « L’émergence du Front national », Revue française de science politique, 1986, n° 1, pp. 30-45. En ligne : www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1986_num_36_1_394234.
Thierry Choffat, « Le national syndicalisme », in Dominique Andolfatto, Dominique Labbé, Un demi-siècle de syndicalisme en France et dans l’Est, Nancy, PUN, pp. 59-72.
Sylvain Crépon, Alexandre Dézé, Nonna Mayer, Les faux-semblants du Front national. Sociologie d’un parti politique, Paris, Presses de Sciences Po, 2015, 605 pages.
Pascal Delwit, Le Front national. Mutations de l’extrême-droite française, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2012, 250 pages.
Valérie Igounet, Le Front national, de 1972 à nos jours, le parti, les hommes, les idées, Paris, Seuil, 2014, 491 pages.
ISA, Le Front national au travail. Arguments et mouvements, Paris, Syllepse, 2003, 172 pages.
Bernard Mathias, « Le Pen, un provocateur en politique (1984-2002) », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 2007, n° 93, p. 37-45. En ligne : www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2007-1-page-37.htm.
Frédérique Matonti, « Le Front national forme ses cadres », Genèses, n° 10, 1993, pp. 136-145. En ligne : www.persee.fr/doc/genes_1155-3219_1993_num_10_1_1163
Nonna Mayer, Pascal Perrineau (dir.), Le Front national à découvert, Paris, Presses de Sciences Po, 1996, 418 pages.
Sitographie
Droite(s) extrême(s). http://droites-extremes.blog.lemonde.fr/.
Vigilance Initiatives Syndicales Antifascistes. http://www.visa-isa.org/.
La Horde. http://lahorde.samizdat.net (on trouve sur ce site une chronologie du Front national ainsi qu’une cartographie de l’extrême-droite française)
Reflexes. http://reflexes.samizdat.net/.
Annexes
Résultats électoraux du Front national en nombre de voix (en milliers)
Élections présidentielles (1988-2012) | ||||
1988 | 1995 | 2002 | 2007 | 2012 |
4376 | 4571 | 4804 | 3834 | 6421 |
Élections législatives (1986-2012) | ||||||
1986 | 1988 | 1993 | 1997 | 2002 | 2007 | 2012 |
2703 | 2359 | 3159 | 3784 | 2873 | 1116 | 3528 |
Élections régionales (1986-2010) | ||||
1986 | 1992 | 1998 | 2004 | 2010 |
2658 | 3375 | 3271 | 3564 | 2223 |
Élections européennes (1984-2010) | ||||||
1984 | 1989 | 1994 | 1999 | 2004 | 2009 | 2014 |
2210 | 2129 | 2050 | 1005 | 1684 | 1091 | 4712 |
Élections cantonales et départementales (2001-2015) | ||||
2001 | 2004 | 2008 | 2011 | 2015 |
847 | 1490 | 644 | 1379 | 5142 |