Il y a cinquante ans, l’informatique débarquait dans les entreprises. Elle s’est tout d’abord imposée dans les services de comptabilité et de gestion du personnel, avant de s’étendre à la gestion des stocks, aux bureaux d’études puis en production. Son développement a été rapide, la totalité des postes administratifs des entreprises sont ainsi équipés de postes informatiques en quinze ans.

Cette évolution technique a bouleversé en profondeur l’organisation et les conditions du travail, entraînant la disparition de certains emplois comme celui de mécanographe. Mais les gains de productivité sont tels que le patronat s’y engouffre.

Les premières conséquences sur la santé des salariés, dont une majorité sont des femmes, n’ont pas tardé à apparaître, avec l’augmentation des troubles musculo-squelettiques (TMS), des douleurs oculaires, des maux de tête et de dos. Dans les cas les plus graves, une crise de nerfs, de tétanie ou encore une dépression nerveuse ont pu imposer une hospitalisation.

Avoir l’œil !

Cette situation préoccupe le ministère du Travail qui adopte un arrêté, le 11 juillet 1977, pour préciser que les salariés travaillant sur écran bénéficieront d’une surveillance médicale spéciale. Mais le texte peine à s’imposer dans le quotidien. Aussi, la Fédération CGT des Travailleurs de la Métallurgie prend l’initiative de lancer une enquête en juin 1980 intitulée « Avoir l’œil ! », dirigée par Nicole Motte, responsable du secteur fédéral des employés et de Jean Hodebourg, chargé des questions de santé au travail. Celle-ci est réalisée en collaboration avec des chercheurs universitaires, des ergonomes et des médecins du travail.

Le questionnaire est rempli par 275 salariés de 27 établissements de la métallurgie, comme les Chantiers de la Seyne, Usinor à Longwy et Denain, Merlin Gerin à Grenoble, Dassault à Mérignac, Bull à Angers, Thomson à Gennevilliers ou encore la SACM à Mulhouse. Les réponses confirment les craintes. Le travail sur écran concerne principalement des femmes de moins de trente ans qui effectuent, pour une moitié d’entre elles, des tâches répétitives plus de quatre heures par jour sans pause.

Des avancées revendicatives

Les résultats de l’enquête sont présentés en septembre 1980, au moment où se tient le Salon international d’informatique, télématique, communication, organisation de bureau et de bureautique (SICOB) à La Défense. Prenant le contrepied de ce rendez-vous patronal, la Fédération se prononce pour une informatique créatrice de métiers plus qualifiés, plus épanouissants. Pour cela, elle revendique un aménagement des postes de travail, l’adaptation de l’éclairage, des formations professionnelles de qualité, une réduction du temps de travail, ainsi qu’une surveillance et une prévention accrues en matière de santé. Au-delà, seuls un droit d’intervention des salariés dans la gestion de l’entreprise et la reconquête du potentiel industriel national sur la construction du matériel informatique et bureautique et le développement des logiciels, peuvent garantir des progrès durables.

En attendant, de premières avancées revendicatives sont obtenues grâce à cette enquête. Chez RVI à Suresnes ou à l’Alsthom Saint-Nazaire, les salariés obtiennent un examen ophtalmologique régulier ainsi que la limitation du temps de travail sur écran. Aux Chantiers Navals de la Seyne, des pauses régulières sont prévues, ainsi qu’une salle de repos pour le service de saisie informatique, tandis que chez Schlumberger à Clamart, les machines les plus bruyantes sont installées dans un local bénéficiant d’une isolation phonique.

À l’heure où le travail sur écran est inscrit dans le quotidien d’un grand nombre de salariés, la réflexion et la lutte en matière de santé et de conditions de travail restent d’actualité !