On entend beaucoup parler de télétravail en ces temps de pandémie. Certains salariés y voient l’occasion de réduire la fatigue des transports, de mieux organiser leur temps, d’envisager une mise au vert, loin de la ville. Si le terme est apparu à la fin de la décennie 1970, il n’a été réellement mis en pratique que vingt ans plus tard, avec l’essor du micro-ordinateur et d’internet. Un cadre légal s’est progressivement mis en place au cours des années 2000 et 2010, avant l’essor considérable pris avec la crise sanitaire.

Cette histoire récente est à rapprocher d’une autre expérience, celle du travail à domicile. Ce statut est différent du télétravail, dans la mesure où l’activité professionnelle est exercée de manière autonome, en sous-traitance d’un donneur d’ordre. Pourtant, les conditions de travail étant similaires, les difficultés rencontrées par cette catégorie sont riches d’enseignement pour aujourd’hui.

Un mode de production capitaliste

Du milieu du XVIIIe au début du XXe siècle, la transition d’un mode de production majoritairement artisanal à un mode de production industrielle capitalistique a été permise en France par le recours massif au travail à domicile. Des centaines de milliers de personnes, en immense majorité des femmes, ont ainsi travaillé depuis leur logement, en particulier pour l’industrie textile et d’habillement. Ce « département extérieur à la fabrique », comme le surnommait Karl Marx, permettait au patronat de bénéficier d’une main-d’œuvre flexible à bas coût et de contourner les premières lois sociales sur le travail des femmes et des enfants ou les accidents du travail.

Ce mode de production a aussi connu de belles heures dans la métallurgie. Ainsi, à Thiers (Puy-de-Dôme), la réputée coutellerie employait 25 000 ouvriers et ouvrières en 1855 – la plupart à domicile – le long de la Durolle et de ses affluents. Il en subsistait encore 850 en 1982. D’autres branches industrielles, comme l’assemblage de jouets (Majorette), la construction électrique (Crouzet et Legrand) ou la bijouterie-joaillerie-horlogerie y ont également eu recours, jusque dans la seconde moitié du XXe siècle.

Obtenir un statut

Payée à la tâche ou à la pièce, isolée, cette main-d’œuvre s’est d’abord attachée à imposer des « tarifs », ces premiers accords collectifs fixant les rémunérations. Une première loi, adoptée en 1915, a créé des comités paritaires de salaire destinés à fixer le salaire minimum. Tenu à distance par le patronat de l’application des lois sociales du Front populaire, le travail à domicile a été l’objet d’un projet de loi en 1939. Ce dernier a finalement été mis en œuvre par le régime de Vichy en 1941 et 1943, accordant notamment le bénéfice des allocations familiales et des congés payés. Ces textes sont restés en usage jusqu’à la loi de 1957 qui a accordé aux travailleurs à domicile le statut salarial. Depuis les années 1980, le travail à domicile a considérablement diminué, en partie remplacé aujourd’hui par l’auto-entreprenariat, au statut moins protecteur.

Le travail à domicile s’est surtout révélé profitable au patronat : flexibilité renforcée, productivité accrue, contournement du droit du travail, réduction des coûts de locaux,  bas salaires, faible syndicalisation. Ce qui a été vrai pour la population rurale ou les ouvrières des villes au XIXe et XXe siècle l’est tout autant pour les salariés, majoritairement issus des activités de services, aujourd’hui concernés par le télétravail.