Non, la technique ainsi que les dispositifs qui en découlent ne sont pas neutres. La question d’une maîtrise industrielle nationale est centrale, vitale.

L’exemple de la santé
En matière de santé, tous les pays n’ont pas la même politique, le même système social, les mêmes pratiques et organisation du travail. Les pays marqués par de fortes convictions libérales, une protection sociale privée, une considération marchande de la maladie, conçoivent les techniques à mettre en œuvre pour servir cette politique. Appliquées au domaine des logiciels, celles-ci deviennent de véritables armes de guerre pour tuer la souveraineté d’un pays qui n’aurait pas adopté cette logique marchande. Les gouvernements français successifs, en décidant de se doter de dispositifs de santé étrangers, nous font glisser vers un système de santé plus libéral, et ceci en siphonnant le budget de notre sécurité sociale. La phase actuelle d’informatisation décuple la menace.
Non contentes de diffuser leurs logiciels1, les sociétés étrangères développent des centres de recherche et de formation sur le sol Français. Elles deviennent ainsi éligibles au Crédit Impôt Recherche2 alors même que cette R&D ne se traduira pas par une industrialisation dans notre pays. C’est une menace pour le devenir de la sécurité sociale, dictant les conditions de travail des personnels soignants, la déshumanisation de l’accueil et du traitement des patients. Loin de s’améliorer, la numérisation « d’étagère » en cours va encore dégrader cette situation. Nous pouvons aujourd’hui mesurer les conséquences de ce « copier-coller » sur le plan des logiciels de gestion. L’exemple de la mise en place en France du PMSI3 dans les années 80 à l’hôpital est probant. On peut, avec les années, mesurer les ravages causés par l’importation d’un outil conçu pour le système de régulation américain dominé par la logique des assureurs privés et fondé sur le modèle de l’entreprise industrielle.

La SNCF et Socrate
Autre exemple, celui de la SNCF et la mise en place du logiciel SOCRATE dans les années 90. A cette époque la direction décide d’adopter un système de réservation aérien conçu aux États Unis pour remplacer le système de réservation ferroviaire français RESA. L’objectif était de faire disparaitre la péréquation au profit d’un ajustement du rapport offre/demande4. C’est, de fait, la fin d’un système de transport équitable, une remise en cause d’un des fondements du service public de transport garantissant un juste traitement des usagés sur l’ensemble du territoire. Socrate a été abandonné en 2003 mais l’objectif de déstructuration aura été atteint : dé-péréquation, personnalisation de l’offre de transport, segmentation de la clientèle, le tout sur fond de restructuration et de baisse des emplois. Socrate marque une rupture. Jusqu’alors la SNCF concevait en interne ses outils. Cette opération va augurer le début de l’externalisation du service d’information de la SNCF et la mise en place, dans le temps, du contrat controversé avec IBM. On ne peut s’empêcher de faire un lien entre les choix opérés dans les années 90 et les incidents récents. Là aussi, la solution passe par une réindustrialisation favorisant la co-élaboration d’outils de service public.

L’espace aérien
Dernier exemple, le rapport du Sénat de juin 2018 sur la modernisation des services de la navigation aérienne. Ce rapport indique d’un côté que l’espace aérien français est le plus vaste et le plus fréquenté d’Europe – et de l’autre recommande d’acheter au maximum « sur étagère », à éviter toute « spécification inutile » et à cesser de développer des composants en interne. Or, acheter sur étagère, c’est acheter un produit standard pour un ciel et une pratique standard. En fait, le rapport vise la dépossession de la maîtrise des outils par les aiguilleurs du ciel et l’achat d’outils pilotés par Eurocontrol organisme inféodé aux orientations Américaines. Or, D. Trump a annoncé en juin 2017 la privatisation du contrôle aérien états-unien. Nous sommes ainsi prévenus des objectifs assignés aux outils dont l’État, via la DGAC, envisage de se doter. Il est vital d’amplifier l’action sur la reconquête industrielle nationale et pour ce faire de développer une activité syndicale transverse et d’anticipation au plan local et national pour élaborer et développer des outils conformes à nos aspirations de travail et de vie. L’emploi et la considération de nos valeurs en dépendent.