Allocution prononcée devant les membres du Bureau fédéral, à l’occasion de la présentation de l’exposition Ambroise Croizat, dans le patio Georges-Séguy à Montreuil.

Cette année 2021 est celle d’un double anniversaire. Celui de la naissance d’Ambroise Croizat, le 28 janvier 1901 à Notre-Dame-de-Briançon (Savoie) et celui de son décès, cinquante année plus tard, le 11 février 1951 à Suresnes, en région parisienne.

Ce double anniversaire résonne tout particulièrement cette année, dans un contexte où, depuis un un an déjà, la pandémie de la Covid-19 bouleverse nos, vies, notre quotidien, mais sûrement pas nos certitudes. L’intérêt et la nécessité de la Sécurité sociale, dont nous avons célébré il y a peu le 75e anniversaire de la création, est plus que jamais démontré. Elle a permis, elle permet et permettra encore nous l’espérons, en dépit des remises en cause, des budgets d’austérité, de garantir à la population une certaine égalité devant l’accès aux soins.

Pourtant, en dépit de leur importance, la Sécurité sociale et l’ensemble des profondes réformes mises en œuvre en France à la Libération à partir du programme « Les Jours Heureux » du Conseil national de la Résistance restent menacés par « le monde d’avant ». La dette, née de l’injonction jupitérienne du « quoi qu’il en coûte » devrait être remboursée selon les bonnes vieilles recettes néo-libérales, avec dans le collimateur les retraites, les services publics, les garanties collectives, les libertés d’expression et les droits démocratiques.

Je ne m’étendrais pas davantage sur les avancées obtenues à la Libération. Beaucoup de choses ont déjà été dites et écrites par la confédération, la fédération, le comité d’honneur Ambroise-Croizat ou encore l’Institut CGT d’histoire sociale de la métallurgie. Permettez-moi de vous renvoyer vers cette exposition et vers les différents écrits qui existent.

Je souhaiterai plutôt évoquer avec vous quelques enseignements pour aujourd’hui.

Tout d’abord, l’histoire d’Ambroise Croizat est une histoire d’engagement. Adhésion à la CGT à 15 ans, premières participations à de grandes grèves à 16 et 17 ans, adhésion à la section française de l’internationale ouvrière (SFIO) à 18 ans, prison à 19 ans pour avoir dirigé des grèves lors de l’année 1920. A 22 ans, inscrit sur les listes noires du patronat lyonnais, il peine à trouver du travail. A 27 ans, il est membre du secrétariat fédéral, puis du bureau confédéral à 30 ans. Cet engagement précoce n’est pas isolé. Jean-Pierre Timbaud avait adhéré à 18 ans, Henri Gautier à 16 ans.

Cette génération militante illustre bien la force émancipatrice de l’action syndicale et politique. Nous n’insisterons jamais assez sur cette dimension. L’histoire d’un ouvrier devenu ministre n’est évidemment pas banale, mais chaque militante, chaque militant pourra en témoigner : si la carrière professionnelle en prend certes un coup, mais l’engagement syndical est source d’émancipation, de prises de responsabilité, de capacités d’analyse et d’organisation que n’auraient pas permis le seul travail salarié, le milieu social d’origine ou encore les études scolaires. Songez-y ! Cet obscur ouvrier d’une région alpine a été accompagné à sa dernière demeure par près d’un million de personnes.

Ne nous trompons toutefois pas. Aussi exceptionnelles que soient les qualités personnelles d’Ambroise Croizat, elles n’auraient pu seules mener à bien son action. L’action collective, la réflexion collective sont au cœur de toutes les conquêtes sociales. La mise en œuvre concrète de la Sécurité sociale n’a été rendue possible que par l’engagement de milliers de militantes et militants, de syndiqués, parfois en construisant eux-mêmes les bâtiments destinés à accueillir les caisses primaires de sécurité sociale.

Ensemble, tout devient possible, dès lors que le syndicalisme est capable de produire de l’utopie, de donner des perspectives revendicatives saisissables par toutes et tous, capables de nourrir un espoir, celui d’un autre monde.

Nos prédécesseurs y croyaient fermement. Certains, comme Jean-Pierre Timbaud ou Henri Gautier, y ont laissé leur vie. C’est cette conviction, appuyé par un engagement collectif, qui a permis à Ambroise Croizat de mettre en œuvre, en tant que ministre du Travail et de la Sécurité sociale , d’importantes conquêtes sociales : sécurité sociale, retraites par répartition, médecine du travail, comité d’entreprise, classifications salariales, égalité salariale hommes/femmes.

En conclusion, ce double anniversaire doit être l’occasion de rappeler notre histoire, mais aussi, et je dirais surtout, de faire connaître et faire avancer nos propositions, notre projet de société, pour défendre l’héritage d’Ambroise Croizat et de nos prédécesseurs.

Car 70 ans après sa mort, les possédants ne désarment toujours pas, bien au contraire.