En 5 réunions, la négociation est terminée et le texte est mis en réserve. L’UIMM a fait un recueil des thèmes abordés par les organisations syndicales salariés dans un texte de plus de 40 pages.

Le champ de la santé, sécurité au travail, des conditions de travail et de la qualité de vie au travail (QVT) est très large. Il croise une réglementation spécifique parfois complexe, des aspects techniques liés à la prévention des risques physiques ou organisationnels et une partie plus “RH” liée à la QVT.

Cette négociation en 5 actes n’a, bien évidemment, pas permis d’approfondir les différents thèmes, donnant à l’ensemble des organisations syndicales un sentiment de frustration, d’occasion manquée. C’était bien là toute la stratégie de l’UIMM. Survoler l’ensemble, sans mobiliser de moyens et en évitant toutes contraintes pour les employeurs.

Pour rappel, les éléments développés dans le texte sont autour de trois axes :

– Les principes d’une démarche d’amélioration de la santé, de la sécurité et de la Qualité de Vie au Travail.

On ne pouvait être à priori que d’accord avec l’UIMM sur « la pertinence des démarches…globales et intégrées…fondée sur le dialogue social… ».Cependant,

  • Aucun discours volontaire ou mesures contraignantes pour les entreprises visant à améliorer les conditions de travail ne sont actés. Nous sommes sur l’éternel recueil de bonnes intentions, basé sur le bon vouloir de l’employeur…
  • La responsabilité est renvoyée aux comportements individuels. Le salarié, de manière implicite ou explicite, tout au long du projet est responsabilisé, voire culpabilisé quant à la protection de sa santé et la qualité de vie au travail.
  • La démarche de prévention reprend le Code du travail, mais devrait, selon l’UIMM « être proportionnée aux moyens de l’entreprise » (Art. 3.2), ce n’est pas acceptable pour nous. La préservation de la santé des travailleurs est une priorité et non un curseur réglable selon les moyens que l’entreprise souhaiterait y engager.

De plus, dans son article 3.4, l’UIMM reprend l’article L4121-3 du Code du travail… en transformant le mot « travailleur » en « salarié », ce qui n’est pas anodin dans un contexte où l’auto-entrepreneuriat se développe.

  • Nous avons rappelé l’importance de la place centrale de l’humain sur de tels sujets. Qu’il fallait prendre en considération des questions essentielles comme l’autonomie ou les marges de manœuvre, nécessaires par exemple, à la créativité et à l’engagement : des capacités demandées aux travailleurs et forcément bridées dans un cadre contraint comme le LEAN.
  • L’ajout de la définition de la santé selon l’OMS nous a semblé intéressant : « La santé est un état de complet bien être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement à une absence de maladie ou d’infirmité ». Il semble qu’elle synthétise bien l’imbrication de la santé et de la QVT.

Les acteurs de la santé, de la sécurité et de la qualité de vie au travail dans l’entreprise et la branche

Pas de moyens supplémentaires pour les représentants du personnel dans le cadre de leurs missions « santé, sécurité et conditions de travail » alors que toutes les organisations syndicales  demandaient de développer le rôle et les moyens des membres de la CSE et de la CSSCT. L’articulation avec les représentants de proximité est également importante, mais le patronat a semblé y préférer la notion de « salarié compétent ».

Une vision à sens unique du principe de solidarité : le patronat a voulu peser sur les pouvoirs publics pour bénéficier des moyens de la Sécurité Sociale, mais se refuse à participer à cette même solidarité à travers la médecine du travail et les services de santé au travail.

L’UIMM tente d’ailleurs de s’approprier totalement les Services de Santé au Travail inter-entreprises (SSTi) : ils en seraient les créateurs. C’est oublier l’histoire : la médecine du travail, initiée sous Vichy, est devenue médecine de protection de la santé des travailleurs en 1945, en opposition avec la médecine d’usine, défendue notamment par l’UIMM, qui consistait à une sélection de la main d’œuvre[1].

Pour la CGT, la revendication est d’intégrer les services de santé au travail dans la Sécurité Sociale au travers d’un rapprochement de ceux-ci avec les CARSAT[2], comme le rappelle un courrier de Philippe Martinez à Myriam El Khomri en 2016.

Le rappel insistant par l’UIMM de l’importance des Comités Techniques Nationaux et Régionaux (CTN et CTR) est le fruit d’une bataille autour des excédents de la branche AT/MP de la Sécurité Sociale (1.1 milliard d’euros cumulés en 2017). L’état tente au travers de la Convention d’Objectifs et de Gestion (COG) de récupérer cet argent cotisé par les entreprises (et donc les salariés). Toutes les organisations syndicales de salariés et patronales sont opposées à cette réorientation de l’argent… pour des buts différents, bien évidemment.

Dans ce chapitre, l’UIMM tente également de transférer un maximum de responsabilités, notamment sur le management. Après la culpabilisation des salariés, on voit bien que le projet patronal tente de mettre à l’abri les employeurs du risque juridique.

La demande d’une commission pour le suivi des indicateurs de santé dans la branche est devenue une commission de suivi QVT : « Les signataires conviennent donc d’organiser le suivi des questions relatives à la qualité de vie au travail dans la branche dans le cadre d’une instance paritaire dédiée, dite « instance paritaire qualité de vie au travail » (IPQVT) ». Cette instance se réunira au moins 2 fois par an.

Pour la CGT, cette instance ne doit pas être « cosmétique » et doit imposer des pratiques normatives concrètes dans la branche en matière de QVT. De plus, il est fait mention d’indicateurs pertinents et de recours à des experts. Ces experts et leur mission doivent refléter les revendications voulues par l’ensemble des Organisations syndicales représentatives. Nous devrons être vigilants sur son contenu.

Les actions spécifiques en santé, sécurité et qualité de vie au travail…

L’UIMM a effacé le mot pénibilité… ce qui n’est pas visible n’existe pas !

Même si les risques physiques sont listés dans l’accord[3],  rien n’est envisagé en termes de traçabilité, encore moins en termes de réparation. Là aussi, on limite le risque de recours contre un employeur qui aurait exposé des salariés ayant développé une pathologie suite à cette exposition.

Peu d’ambition sur la diminution des expositions aux nuisances diverses, alors que la CGT souhaitait acter une démarche “d’amélioration continue” de réduction de ces expositions et développer la prévention.

Rien non plus sur l’aménagement des fins de carrières et les départs anticipés qui auraient pu être envisagés pour les salariés n’ayant pu être extraits de ces situations de travail qui ont un impact sur la santé et l’espérance de vie.

Nous voulions aussi inscrire dans l’accord l’information obligatoire et le suivi des travailleurs exposés aux nanomatériaux. Une démarche motivée par la multitude de leurs compositions et les incertitudes concernant leurs effets à long terme sur la santé. L’article 7.4.2 a été rajouté qui renvoie à des travaux qui seront engagés en septembre par le CTN A.

L’UIMM n’a rien voulu avancer sur une revendication importante pour la CGT : la responsabilisation des donneurs d’ordres dans leurs relations avec les sous-traitants. Surtout lorsqu’ils imposent des organisations du travail ou des process de fabrications à leurs sous-traitants. Peut-être arriverons-nous à avancer sur ce sujet dans l’instance paritaire qui va se créer ?

Autre déception pour l’ensemble des organisations syndicales : la non prise en compte des « nouvelles » formes de travail, tels que le travail nomade, le télétravail… dans un accord qui s’inscrit dans la durée et des perspectives d’avenir, ces sujets sont étrangement absents. L’UIMM n’a pas voulu les intégrer.

Concernant la prévention des risques psychosociaux, L’UIMM s’est basé sur l’accord stress de 2008 qui renvoie à la capacité de l’individu à faire face aux contraintes. Le patronat n’a rien voulu bouger, alors qu’aujourd’hui les connaissances sur ce sujet ont beaucoup progressées et permettent d’avoir une approche beaucoup plus collective de ces problématiques, en s’intéressant notamment au contexte et à l’organisation du travail.

Le 15 juin, la FTM-CGT, a pris acte de la mise en réserve du texte, tout en soulignant le manque d’ambition de celui-ci, tant en termes de prise en compte des conditions de travail actuelles et passées qu’en termes de projection dans le travail de demain.


[1] Les cahiers de l’IHS. N°139 – septembre 2016.

[2] Courrier de Philippe Martinez à la Ministre du Travail Myriam El Khomri, du 4 avril 2016.

[3] Bruit, Températures, Hyperbarie, Vibrations mécaniques, rayonnements ionisants, rayonnements optiques artificiels, champs électromagnétiques, agents chimiques dangereux (ACD).