« Avec la révolution, nous avons gagné la liberté d’expression, mais nous le payons cher économiquement » témoigne le jeune syndicaliste Mourad pour résumer la situation dans son pays. Ces dernières semaines, la Tunisie a fait de nouveau la une de l’actualité après l’assassinat de Chokri Belaïd, figure de l’opposition tunisienne le 7 février dernier. Mais chaque jour, depuis la Révolution du Jasmin, les mouvements progressistes tunisiens se battent pour faire vivre les valeurs qui ont permis de renverser la dictature. Dans ce contexte, le poids de la religion dans le nouveau régime, la place des femmes, mais aussi le rôle du syndicat dans la révolution et dans le développement aujourd’hui du pays, … ont alimenté les échanges entre l’UGTT et la CGT. Du côté de la CGT, force est de constater une soif d’information non filtrées par les médias.

De l’autre, des syndicalistes tunisiens, impatients de voir des changements, sont fiers de partager leurs vécus. Ces échanges ont toute leur importance pour les syndicalistes du pays des droits de l’Homme qui sont attentifs à la démocratie et au respect de la liberté.

Mais ils sont surtout incontournables alors que la mondialisation s’accélère. Même si parfois les questions internationales peuvent paraitre loin des problèmes du quotidien des salariés en France, nous sommes rattrapés par la mondialisation. Aussi, rapprocher les bases syndicales pour échanger directement sur la situation de l’entreprise permet d’affuter, d’un côté comme de l’autre, les arguments syndicaux. Ainsi, alors qu’en France nous sommes en pleine bataille contre la flexibilisation du travail dans le cadre des accords dits de compétitivité, les tunisiens viennent d’obtenir une augmentation de 6% dans le cadre de négociations tripartites. Plus concrètement, chez Valéo, la rencontre entre syndicalistes à Amiens a permis d’apporter des réponses à l’annonce du transfert des volants flexibles du site de Jedaida en Tunisie vers Bursa en Turquie. Les syndicalistes français ont même découvert, grâce à la visite de l’UGTT, que l’usine de Jeidaida était déjà à l’arrêt et que les projets d’extension de l’usine avaient été abandonnés.

A partir des échanges d’information, il s’agit ensuite d’informer les salariés et de construire des actions communes de chaque côté de la méditerranée. Contre la mise en concurrence des salariés, parler d’une même voix syndicale face aux patrons permet de renforcer la lutte au quotidien.
C’est pourquoi l’UGTT multiplie les échanges avec les autres syndicats notamment européens.
D’autant qu’aujourd’hui l’instabilité économique du pays conduit les investisseurs étrangers à la prudence.

Aussi, de plus en plus, la Tunisie est mise en concurrence avec ses voisins marocains et algériens mais aussi la Turquie. Confrontés à cette nouvelle donne, les syndicalistes de Tunisie manquent de repères et d’expérience alors même qu’ils participent à la construction démocratique du pays. Ceci étant, le travail syndical au quotidien dans les entreprises et le rôle joué localement dans la Révolution (même si la direction nationale confédérale du syndicat était proche du pouvoir de Ben Ali) permettent aujourd’hui au syndicat de se renforcer. Toutes les structures syndicales de l’UGTT ont vu leur nombre d’adhérents augmenter, il a même doublé dans certaines régions. Aujourd’hui, avec 27 000 adhérents, la fédération de la métallurgie tunisienne est consciente du chantier qui est devant elle pour répondre aux attentes des salariés notamment pour améliorer leurs conditions de travail. Mais l’UGTT est sur tous les fronts.
Actuellement, alors que le projet de constitution fait l’objet de controverses, le syndicat reste vigilant sur le recul possible des droits sociaux.

Certains droits comme celui de grève ou certains acquis, notamment le statut des femmes ou comme l’interdiction de la polygamie pourraient être remis en cause. Tout au long des rencontres, les échanges ont montré l’imbrication des situations des salariés de chaque côté de la méditerranée dans le contexte de la mondialisation.

De nombreuses problématiques auxquelles sont confrontées les syndicalistes de Tunisie et de France prennent effectivement leur source dans la libéralisation de l’économie mondialisée.
Aussi, porter des revendications communes, grâce à un travail régulier, entre nos différents pays ne peut que renforcer les liens entre les salariés et tordre le cou aux discours patronaux qui s’appuient sur la mise en concurrence des travailleurs.