Après avoir évoqué le coût du capital dans les entreprises de taille modeste et la pression exercée par les donneurs d’ordres (Voir mensuel juin 2019), voyons désormais l’autre bout de la chaîne : la gouvernance de l’entreprise. Bien souvent, les actionnaires directs dans l’entreprise ne sont pas nécessairement ceux qui récupèrent l’intégralité des bénéfices. Car derrière les actionnaires se cache souvent une longue chaîne qui draine davantage de profits (1).

L’actionnaire et le pouvoir dans l’entreprise
Au sein de l’entreprise capitaliste, le pouvoir – légal – de décision revient aux détenteurs du capital. Selon les statuts de l’entreprise (Société anonyme, à responsabilité limitée…), les actionnaires ou associés disposent d’un pouvoir de décision prépondérant, en nommant par exemple les conseillers d’administration ou les gérants de l’entreprise. Ce sont aussi les actionnaires ou les associés qui valident la rémunération des dirigeants, ainsi que toutes les opérations de capital (comme une fusion-acquisition). Bien souvent alors, les dirigeants des entreprises se conforment aux exigences des détenteurs de capitaux, afin de pouvoir conserver leur rôle dans l’exécutif. Aussi, contrarier un actionnaire ou un associé pourrait l’amener à se retirer du capital de l’entreprise. Cette dernière devra alors séduire un nouvel acquéreur : opération coûteuse dont de nombreux dirigeants se passeraient bien !
Ces actionnaires ou associés fixent aussi leur propre rémunération (dividendes). Mais pourquoi subitement, depuis une dizaine d’années, ces actionnaires ou associés cherchent-ils à augmenter leur rémunération ? Est-ce uniquement par avidité ou par opportunisme ? Quand on gratte un peu derrière les actionnaires, on trouve parfois un véritable siphon à profit qui, comme la chaîne de sous-traitance, implique une série de réactions en chaîne contribuant à l’augmentation du coût du capital.

L’actionnaire de l’actionnaire : l’inflation des dividendes.
Plan d’épargne-action, organisme de placements collectifs en valeurs mobilières, épargne salariale… Cela vous tente vous aussi d’être actionnaire ? Détrompez-vous, vous n’avez aucune chance d’atteindre un jour les assemblées générales des actionnaires. Et ce placement ne vous apportera jamais le rendement que les actionnaires de votre entreprise pourtant reçoivent…
En plaçant l’argent dans ce type de fonds, ces derniers utilisent cette épargne pour investir dans des sociétés, vu que c’est leur rôle. Mais ils prélèvent bien évidemment une commission au passage. Si le fonds vous rapporte un rendement de 3% par an, cela signifie nécessairement que le fonds a récupéré un rendement supérieur (disons 5% pour l’exemple). L’entreprise qui a été ainsi financée doit apporter alors un rendement de 5%, mais seulement 3% iront à l’épargnant individuel.
Mais si ce fonds investit dans un autre fonds de placement, alors ce second réclamera lui aussi un rendement des entreprises qu’il a pu financer supérieur au rendement qu’il doit verser au fonds de placement précédent. Par exemple, il exigera de son placement un rendement à 7% pour rémunérer le placement du fonds précédent à 5% qui lui financera l’épargnant individuel à hauteur de 3%… De maillon en maillon, chaque étape réclame une rémunération de son placement plus élevée, pour satisfaire son épargnant, jusqu’à l’épargnant individuel qui a souscrit à un portefeuille d’actions auprès de la banque.
Il faut souvent réaliser un travail de fourmi pour débusquer et dénoncer de telles chaînes, qui aspirent le surcoût du capital. Mais certains signes ne trompent pas : si votre dirigeant vous annonce l’arrivée d’un fonds de pension ou de « gestion alternative » – autre nom neutre des « fonds spéculatifs » (Hedge-fund) – attendez-vous à voir accroître la pression sur les profits… Dénoncez alors ces opérations financières tant qu’il est encore temps ! La finance doit servir l’industrie et non l’inverse !

 

(1) Auvray T., Dallery T. et Rigot S., L’entreprise liquidée. La finance contre l’investissement. Paris : Michalon, 2010.