L’âge est une « donnée biologique socialement manipulée et manipulable » écrivait Pierre Bourdieu en 1980. L’observation du sociologue se vérifie une nouvelle fois avec les fossoyeurs du système de retraite par répartition. L’allongement de l’espérance de vie devrait justifier le report de l’âge de départ à la retraite. C’est l’argument principal pour imposer un projet universel « plus équitable ». De nombreuses voix s’élèvent, arguments à l’appui, pour dénoncer l’arnaque du système à points préconisé par le gouvernement. Concernant la pénibilité, s’il existe bien un chapitre sur cette question, la promesse d’équité est réduite au nivellement par le bas des droits existants.

Une meilleure prise en compte  de la pénibilité ?
Ainsi, « dans le système universel, l’ensemble des droits à un départ anticipé au titre de la pénibilité devra être harmonisé » peut-on lire page 62 du rapport Delevoye transmis au Premier ministre en juillet dernier. Si effectivement, à métiers identiques, les droits à la retraite peuvent être différents, il ne s’agit pas d’élargir les droits des salariés des régimes spéciaux, par exemple, qui ont conquis des départs anticipés pour travaux pénibles. « L’équité exige qu’ils soient mis fin aux droits spécifiques des régimes spéciaux et de la fonction publique ». Aussi, le projet de régime universel de J.P. Delevoye promet juste la mise en place de règles communes avec la généralisation du compte professionnel de prévention (C2P). Des points seront accordés aux métiers pénibles… dans la limite de 100. Ils pourront être utilisés pour partir en formation, passer à temps partiel sans perte de salaire ou partir jusqu’à deux ans plus tôt à la retraite.

La reconnaissance toujours une bataille
Mais comment seront attribués ces points ? Le rapport de JP Delevoye renvoie à une concertation « l’aménagement du C2P en matière de seuil d’exposition aux facteurs de risque». Sachant que le patronat a enterré le compte pénibilité, le nombre de critères ne devrait pas évoluer, seuls les seuils à partir desquels on peut acquérir des points de pénibilité pourraient être assouplis, notamment pour le travail de nuit. Si la prise en compte de la pénibilité existe toujours sur le papier, les conditions pour sa reconnaissance risquent donc de se réduire au fil du temps. Déjà, le gouvernement avait exclu, dès 2017, deux facteurs, à savoir les risques chimiques et ergonomiques. Dans son rapport, JP Delevoye ignore les contraintes physiques et psychiques, l’environnement agressif ou encore les rythmes de travail pour définir l’accès au droit à la retraite. Il n’y a donc pas de changement de ce côté-ci, la reconnaissance des expositions reste une bataille. Il en est ainsi depuis des décennies, et même lorsqu’il y a des avancées, celles-ci sont sans cesse remises en cause comme le montre la question de l’amiante.

Mais les inégalités persistent
Faut-il rappeler que la reconnaissance de la pénibilité ne sert pas à gagner de l’argent, mais à compenser la baisse de l’espérance de vie des travailleurs qui la subisse. Si le projet prétend prendre en compte l’espérance de vie, c’est simplement pour repousser l’âge de départ à taux plein. Pourtant, si l’espérance de vie à la naissance est la même pour tous, à 35 ans, elle n’est plus que de quarante deux ans pour un ouvrier, contre quarante-neuf ans pour un cadre (Source INSEE 2013). Soit 7 ans d’écart. Et celui-ci est encore plus important si l’on prend l’espérance de vie sans incapacité. L’observatoire des inégalités, relève que « l’espérance de vie à 35 ans des cadres sans problèmes sensoriels et physiques est de 34 ans, contre 24 ans chez les ouvriers, soit un écart de 10 ans » poursuit-il. Ainsi, pour les ouvriers, c’est la “double peine” : une vie plus courte avec une santé dégradée…
Et la faible prise en compte de la pénibilité et la remise en cause des progrès en matière de temps de travail risquent de jouer encore plus défavorablement dans les prochaines années. Alors que l’équité consisterait justement à assurer une retraite convenable à ceux qui ont une moins belle carrière, le refus de prendre en compte la pénibilité est d’autant plus insupportable qu’elle se conjugue à une dégradation générale des conditions de travail et que le patronat ne cesse de se dégager de ses responsabilités sur ces questions.

Pour une retraite en bonne santé
Si la question du financement de la retraite est l’enjeu majeur des débats à venir avec le projet de réforme universelle, il est aussi important de prendre en compte le droit à une retraite en bonne santé ! L’amélioration de la santé au travail reste à ce titre un élément déterminant non seulement pour les salariés mais pour la société dans son ensemble. D’autant que le coût du mal-travail est exorbitant. Pour la CGT la mise en protection sociale des salariés est d’abord un investissement avant d’être une dépense. Exonérer les entreprises de leur responsabilité vis-à-vis de la santé du monde du travail est un contre-sens économique et social. Aussi, la CGT revendique une prise en compte de la pénibilité qui parte de la réalité du monde du travail, et qui permette de faire reculer très fortement les expositions à la pénibilité, et les dégâts parfaitement connus et attendus sur la santé qu’elles provoquent.
A cette revendication incontournable d’amélioration des conditions de travail, la CGT porte une mesure de justice pour les salariés déjà exposés pour l’essentiel de leur carrière professionnelle, avec des mesures de départs anticipés dans des métiers parfaitement connus. Aussi, l’ensemble des dispositifs de reconnaissance de la pénibilité doivent reposer sur des critères comparables, être pris en compte dans un cadre collectif, au plus près des métiers et des fonctions exercées, et privilégier la prévention pour une amélioration réelle des conditions de travail. La question des seuils d’exposition doit être revue, non seulement leur niveau mais aussi par une meilleure prise en compte des effets de la multiplicité d’exposition, même à des niveaux en apparence moins forts. Ainsi, chaque période d’exposition aux nuisances devrait donner lieu à une bonification pour partir en retraite plus tôt. Si la prévention et l’élimination de l’exposition à la pénibilité est incontournable, l’échec ou l’impossibilité d’éliminer l’exposition doit être compensé avec 1 trimestre par année d’exposition, pour un départ anticipé jusqu’à 5 ans avant l’âge de départ en retraite, ou encore par un aménagement des fins de carrière, comme par exemple un temps partiel payé plein temps.

Si jusqu’alors, le travail de réflexion qui a accouché du rapport Delevoye est resté sourd à de telles revendications, le projet de retraite universelle à point n’est pas encore entériné. De nombreux syndicats sont montés au créneau face à cette injustice. Et les syndicats de salariés des régimes spéciaux comme ceux de la RATP font front commun notamment autour de la prise en compte de la pénibilité. C’est un point d’appui pour aller à la rencontre des salariés et partager nos propositions. Le bras de fer ne fait que commencer !