« Je ne sens pas la colère dans le pays » a déclaré le président de la République, faisant fi des 200 000 retraités qui ont manifesté à l’appel de l’ensemble de leurs syndicats, le 15 mars. Ils étaient deux fois plus nombreux qu’en septembre. Sept jours plus tard, des milliers de cheminots et de fonctionnaires descendaient dans la rue. Si le Président a un problème d’odorat, peut-être devrait-il lire les notes de ses services qui chiffraient, avec l’arrivée du printemps, les occupations, grèves, défilés, rassemblements à plus de 200 par jour. Il faut dire qu’après 10 ans d’austérité, les « grandes réformes » libérales bafouant la démocratie et le dialogue social et visant à secouer « un vieux monde, immobile et conservateur »…, font mal. Mais cette volonté d’accélération de la libéralisation à tout-va de la société française se heurte à un regain de colère d’autant plus fort que les Français se serrent la ceinture depuis (trop) longtemps.

L’offensive générale
C’est le cas des retraités. Alors que les pensions sont bloquées depuis plusieurs années, l’augmentation de la CSG est vécue comme un coup de grâce. Mais ils ne sont pas les seules victimes du pyromane Macron. Sa « stratégie du choc » tourne à plein régime. Avec sa cour, il ouvre les feux sur l’ensemble de la population. Chez les jeunes, la mise en place d’une nouvelle sélection à l’entrée des universités accroît les incertitudes quant à leur avenir. Ils étaient d’ailleurs très nombreux lors de la manifestation parisienne du 22 mars dernier. Dans la fonction publique, certains fonctionnaires ont vu baisser leur salaire net en janvier en raison du gel du point d’indice, de la hausse du prix de la mutuelle et des cotisations retraites ainsi qu’un retard dans la mise en place de l’indemnité compensatrice de la hausse de la CSG. Dans le privé, si après un mauvais tour de passe-passe certains salariés ont bénéficié d’un « coup de pouce » avec la suppression de cotisations patronales, le compte n’y est pas au regard des profits engrangés. Aux premiers effets de la loi El Khomri de 2016 et des ordonnances Macron de l’été 2017 s’ajoutent l’offensive patronale qui détricote les garanties collectives dans les branches.

Des intérêts communs
Dans le public, comme dans le privé, les salariés se heurtent partout à une conception du monde guidée par la primauté à la rentabilité financière pour le bénéfice d’une minorité de nantis au détriment du bien-être des peuples, de la paix et de l’environnement. Nous sommes au cœur d’un rapport de forces entre deux conceptions du monde, celle du capital ou celle de l’humanisme. Et à ce jour, il faut bien avouer que la résultante des forces est au bénéfice du capital. Inverser le cours de cette histoire nécessite un Tous Ensemble puissant, conscient et durable.

Tordre le cou à la division
Les « marcheurs» qui assurent le service après-vente du président, exploitent les vieilles ficelles pour faire passer ses projets libéraux : diviser (pour mieux régner). Ils renvoient dos à dos, retraités et étudiants, agents des services publics et usagers, ouvriers et cadres … pour décrédibiliser les revendications salariales. Alors qu’ils s’efforcent de briser la cohésion, prônent l’individualisme et le chacun pour soi, la démarche de la CGT doit au contraire travailler au rassemblement. C’est en ce sens que les cheminots multiplient les mains tendues aux usagers. Car « défendre nos conditions de travail, c’est se battre pour vos conditions de transports » comme le soulignent les tracts distribués, depuis plusieurs semaines, aux passagers des trains pour expliquer le projet de réforme de la SNCF qui s’attaque au statut des cheminots pour un service plus cher et moins avantageux pour les passagers…
On retrouve cette même convergence des intérêts dans les mouvements des hôpitaux ou dans les Ehpad. A l’institut Gustave Roussy de Villejuif, par exemple, les patients ont fait circuler une pétition pour soutenir la grève des secrétaires médicales. Agents de la fonction publique et usagers sont conscients qu’ils ont un intérêt commun à être unis et solidaires, pour faire reculer les projets mortifères et gagner de meilleures conditions de travail pour les uns et un service public garant de l’intérêt général pour les autres. C’est aussi le cas pour le maintien des bureaux de Poste ou pour exiger des moyens pour les écoles où localement, des initiatives se multiplient dans ce sens.

Rassembler
Tous ces mouvements ont un point commun : le refus d’application des recettes néolibérales. Mais est-ce suffisant pour imposer, par le rapport de forces, une société plus juste, plus solidaire, plus égalitaire ? Le Tous Ensemble, dont nous avons besoin, ne se construira pas sur un appel à la solidarité ou au sommet derrière tel ou tel mouvement. Si rester unis derrière les attaques patronales est un premier rempart, l’histoire et les expériences récentes nous montrent que le rapport de forces trouve ses limites si nous n’ancrons pas solidement des mobilisations revendicatives avec les salariés, à partir de leurs préoccupations dans nos entreprises et territoires. Car même si le fil conducteur des mécontentements est identique, le salariat vit des situations diversifiées selon sa branche ou sa catégorie professionnelle. Donc, il s’agit d’abord de mobiliser l’ensemble des salariés au sein de l’entreprise et de s’adresser notamment aux ICT qui sont parfois délaissés dans l’activité syndicale. Alors, pour ne pas faire du tous ensemble qu’un slogan de façade, il convient de le construire par une convergence des mouvements revendicatifs collectifs où chacun porte, dans une mise en commun, sa spécificité.

Redonner du sens au tous ensemble
Aujourd’hui, si la colère est palpable et qu’elle prend ici et là, la forme de luttes, comment faire converger celles-ci pour amplifier le rapport de forces? Derrière les débats qui animent la question du Tous Ensemble, se pose, en fait, la question de l’articulation des luttes. Celle-ci anime régulièrement le mouvement syndical. Car concrètement, comment construire des convergences sans être dans l’incantatoire ? Il n’y a pas de recette miracle. Ceci étant, il en va de la responsabilité de chacun d’en créer les conditions. Il s’agit d’une part de construire des revendications spécifiques à partir des réalités du travail de chacun et de travailler ensuite à la question des convergences entre les différentes catégories du salariat.

CONSTRUIRE DES LUTTES à Partir du vécu
Se pose alors la question de la stratégie syndicale à mettre en œuvre pour parvenir à ce rassemblement des salariés pour peser suffisamment et conquérir les avancées sociales que nous voulons sachant que le ciment de ces avancées prend corps des revendications construites avec les salariés. L’activité régulière du syndicat, qui réuni ses militants et s’adresse aux salariés, est ici un élément clé. Parce que c’est bien en partant du vécu de chacun qu’on construit des revendications. Avec la segmentation du salariat et l’émergence du travail indépendant, les contextes de travail, les histoires, les statuts ont chacun des spécificités. Ainsi, dans la branche par exemple, les salariés du site d’Airbus Défense and Space, en Haute-Garonne, ont protesté, le 23 mars dernier, contre le projet de la direction de décompter le temps de travail sur l’année entraînant la hausse du temps de travail hebdomadaire et son adaptation en fonction de la charge. Le même jour, les salariés de Ford descendaient dans la rue contre le projet de fermeture du site à Blanquefort en Gironde. C’est donc bien en partant de la réalité qu’on se donne toutes les chances d’ancrer les luttes dans les entreprises et d’élargir le rapport de forces notamment dans le cadre des semaines d’actions et de mobilisations dans notre branche pour imposer une convention collective nationale. Pour la journée interprofessionelle d’actions du 19 avril, c’est à partir de ce travail engagé depuis plusieurs années, que la fédération CGT de la métallurgie appelle à faire grève. Car si on peut marquer des points ici ou là, seul un mouvement beaucoup plus large et puissant pourrait permettre non seulement de stopper la casse des droits sociaux, mais imposer une transformation sociale de la société qui réponde enfin aux besoins de chacun et de tous.

Faire vivre l’esprit de conquête
Si partir du vécu est indispensable pour construire une mobilisation, le rôle du syndicat ne peut se contenter d’organiser la résistance aux mauvais coups. Il a besoin d’analyser la cohérence des attaques, de la partager avec le plus grand nombre pour combattre le fatalisme. C’est la démarche de la CGT qui s’est amplifiée après l’échec des mobilisations contre la Loi El Khomri. C’est le sens du contre-projet CGT pour la réforme de la SNCF ou celui de Convention Collective pour l’ensemble des travailleurs de la métallurgie porté par la fédération. Face à la proposition de « socle commun » de l’UIMM, la fédération, avec ses syndicats, a fait le choix d’une bataille offensive pour gagner de nouveaux droits. Les propositions de la CGT s’appuient sur les progrès techniques, technologiques et scientifiques, et l’élévation des connaissances des hommes et des femmes qui doivent être mises au service du progrès de la condition humaine pour tous en France et dans le monde.

Le pouvoir d’agir
Ouvrir des perspectives, c’est aussi redonner du sens au pouvoir d’agir de chacun. Les salariés, qui sont de plus en plus dépossédés de leur pouvoir d’agir, dans leur travail, mais aussi comme citoyen, ont besoin de reprendre confiance. Face à la perte de sens du travail, être à l’écoute des salariés, de leur vécu et de leurs problématiques, c’est résolument un premier pas pour construire les revendications et faire émerger des possibles. Par exemple, alors que les carrières étaient bloquées, le syndicat CGT Aérocan dans l’Ain, a travaillé avec les salariés et à partir de la proposition de la fédération, une nouvelle grille de classifications assurant une évolution de carrière pour tous. Cette victoire confirme qu’on peut faire autrement et que la mobilisation des salariés permet d’obtenir des avancées. (Voir p7, le mensuel des métallurgistes n°18, mars 2018).

C’est possible
Pour montrer que c’est possible, l’enjeu de la connaissance des luttes est donc primordial. Car faire prendre conscience qu’on peut faire autrement sur le papier, c’est bien, mais démontrer, à partir d’exemples, qu’on peut faire autrement, c’est encore mieux. Cela donne confiance aux militants et appuient leur démarche syndicale. Et puis toutes les (petites) avancées (locales ou catégorielles) peuvent ouvrir la voie à de grandes victoires pour tous. En tout cas, l’histoire nous le démontre. Tout est bon à prendre pour briser l’élan du Président et de ses amis du patronat. D’autant que le Premier ministre, vient d’annoncer « un geste » pour 100 000 couples victimes de la hausse de la CSG. Et certains de ses lieutenants évoquent le rétablissement de la demi-part fiscale des personnes veuves. Après moins d’un an à l’Elysée, le mur macronien commencerait-il à se fissurer ? Pour le savoir, il s’agit maintenant d’amplifier le travail syndical de terrain entamé dans le cadre de la bataille pour la convention collective, des NAO ou pour de meilleures conditions de travail. Car seuls les combats que l’on ne mène pas sont perdus d’avance…