L’en-tête de l’Union syndicale des travailleurs de la métallurgie de Seine-et-Marne en 1950. Archives USTM77 | Coll. IHS CGT Métaux

Texte de l’intervention d’Emeric Tellier au 12e congrès de l’USTM de Seine-et-Marne, le 1er juillet 2022

Il s’agit ici de dessiner une histoire du syndicalisme dans la métallurgie du département. Pour y parvenir, je suis parti des archives de l’USTM, que j’ai eu à traiter sur place à Melun, avant de les rapatrier dans le local d’archives du 94 rue Jean-Pierre Timbaud. Le fonds est constitué de 83 boîtes d’archives couvrant une période comprise entre le Front populaire et les années 2010, en sachant que l’essentiel des archives concernent la période postérieure aux années 1970. On y trouve des éléments sur le fonctionnement de la structure, l’évolution de la syndicalisation, le suivi des bases syndicales, les parutions de l’USTM 77, l’évolution de la convention collective territoriale ou encore les relations avec les autres structures syndicales de la CGT. Il faut ajouter à cela trois boîtes de photographies.

Faute de temps, je n’ai consulté qu’une douzaine de boîtes d’archives et vous allez voir, c’est déjà riche !

Une structure syndicale pour le département

La région parisienne a longtemps été divisée en trois départements, la Seine, la Seine-et-Oise et la Seine-et-Marne. En 1964, l’actuel découpage en huit départements est adopté, sans que la Seine-et-Marne ne soit impactée. Comment le syndicalisme s’est-il structuré dans la métallurgie de cette région ?

À la Libération, l’afflux de nouveaux syndiqués est colossal, au point que la Fédération tutoie le million d’adhérents en 1946. Décision est prise de mettre en place des Unions départementales des syndicats de la métallurgie (UDSM). Celle de Seine-et-Marne est constituée le 22 juin 1946, en présence de Jean Breteau, futur secrétaire général de la Fédération CGT des travailleurs de la métallurgie. Marcel Pennier est le premier secrétaire de cette union départementale qui rassemble plus de 5 500 syndiqués ! Des syndicats locaux de la métallurgie rassemblent, sur leur territoire, les sections syndicales des entreprises ainsi que les isolés. Celui de Champagne-sur-Seine, où est implanté Jeumont-Schneider compte alors 900 syndiqués.

Je dois ici vous parler d’une boîte d’archives, qui concerne l’existence du syndicat local des métaux d’Ozouer-le-Voulgis, dont la principale entreprise locale est la Manufacture de Tôlerie (MATO). Constituée le 16 janvier 1946, la section syndicale compte 38 syndiqués sur 46 salariés. Toutefois, en octobre 1950, Louis Tuloup annonce à la Fédération que suite à son licenciement de l’entreprise et à l’incapacité de la Fédération de s’y opposer, les syndiqués de l’usine ont décidé d’abandonner l’organisation syndicale. Comme le souligne Jules Daumur, le secrétaire fédéral chargé de la réponse, « c’est une conception bien spéciale du mouvement syndical, et plus particulièrement du résultat des luttes que nous menons contre le patronat et le gouvernement. »

Cette histoire peu commune me permet de faire une transition. En effet, la syndicalisation s’effondre brutalement à partir de l’année 1948, en raison du déclenchement de la Guerre froide, de la création de Force ouvrière et de la répression policière et patronale. Les difficultés sont telles que l’Union des syndicats de la métallurgie disparaît au début des années 1950.

Un courrier intersyndical (CGT, FO, CFTC) du 9 septembre 1954 demandant au patronat de la métallurgie de Seine-et-Marne l’application de la convention collective de la métallurgie de la région parisienne adoptée le 16 juillet 1954. Archives USTM77 | Coll. IHS CGT Métaux

 

 

 

C’est désormais l’Union départementale qui coordonne les syndicats et sections syndicales de la métallurgie et mène les négociations qui aboutissent à l’adoption d’une convention collective de la métallurgie de Seine-et-Marne le 10 novembre 1954. Ce travail est supervisé par Camille Marceau, un métallurgiste de Melun membre du secrétariat de l’Union départementale.

En 1960, l’existence d’un comité de liaison des syndicats de la métallurgie est mentionnée et c’est lui qui mène les négociations qui aboutissent à l’adoption de la convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie de Seine-et-Marne du 4 juillet 1961 et d’une nouvelle convention collective pour les ouvriers et les « mensuels[1] » le 14 décembre 1962.

C’est au sein du comité de liaison qu’est également préparé le congrès constitutif de l’Union des syndicats des travailleurs de la métallurgie (USTM) qui se tient le 17 décembre 1974 à la colonie de vacances du comité d’établissement de la SNECMA à Dammarie-les-Lys. À cette date, on recense 3 670 syndiqués pour 35 000 métallurgistes en Seine-et-Marne. Parmi la commission exécutive de 36 membres élus, trois secrétaires sont désignés : Michel Burillo, un ouvrier mécanicien de 29 ans ; Daniel Heinrich, un agent technique de 26 ans et Daniel Doiselet. Ce dernier, ouvrier-fondeur de 43 ans, a fait ses premières armes chez Renault Billancourt et Citroën Javel, avant d’être élu secrétaire général de l’USTM de Seine-et-Marne, dont le siège est fixé au 15 rue Pajol à Melun. Parmi les premiers chantiers auxquels doit s’atteler la jeune USTM figure la négociation d’une nouvelle convention collective, dont le texte est adopté le 30 novembre 1976.

L’affiche du 2è congrès de l’USTM de Seine-et-Marne les 10-11 février 1977 – Archives USTM77 | Coll. IHS CGT Métaux

 

En 1977, l’USTM compte plus de 80 sections syndicales, auxquelles s’ajoutent quatre syndicats de secteur à Chelles, Meaux, Melun et Lagny. Le 2e congrès, tenu en février, renouvelle la direction de l’USTM, dont le secrétariat est désormais constitué de Bernard Casanova, Gérald Cocu, Jacques Durthaler et Daniel Heinrich. Ce dernier est désormais le secrétaire général, avant de passer le relai au début des années 1980 à Alain Combres, ouvrier-tourneur à la Snecma Villaroche. Deux branches dominent alors la métallurgie du département : la mécanique générale et l’électronique-électromécanique, auxquelles il faut ajouter les services de l’automobile. Un tiers des métallurgistes du département sont employés par trois entreprises : la Snecma à Villaroche, Jeumont-Schneider à Champagne-sur-Seine et la SILEC à Montereau.

 

 

Cette période est marquée par un recul de la syndicalisation, amorcé au milieu des années 1970 jusqu’à atteindre le point bas en 1988. La principale cause réside dans la casse de l’outil et de l’emploi industriels. Un regain des luttes dans les entreprises, accompagné d’une progression de l’emploi dans la métallurgie du département permet de repasser au dessus de la barre du millier de syndiqués en 1990. En 1991, Alain Combres cède la main à Bruno Cassan, permanent à la Fédération CGT des travailleurs de la métallurgie après avoir travaillé à la SAM à Montereau. Une nouvelle équipe est toutefois mise en place après le 8e congrès, en décembre 1993, avec Thierry Sovy, technicien d’atelier à la Snecma Villaroche, Michel Chaland, Albert Derridj, Marie Leclere et Françoise Simon.  Si la syndicalisation se stabilise pour une décennie, les difficultés rencontrées par l’USTM ne manquent pas, comme en témoigne la difficulté à tenir son congrès.

Il faut attendre près de dix ans pour tenir le 9e congrès, avec à nouveau une nouvelle équipe, dont le secrétaire général est Patrick Masson, de la SAM à Montereau. Celui-ci passe le relai à Stéphane Takacs lors du 10e congrès, en avril 2014.

Des luttes

Je ne pourrais bien évidemment pas prétendre à couvrir plusieurs décennies de luttes syndicales dans les entreprises de la métallurgie du département. Je vais me contenter d’en brosser quelques traits si vous le permettez.

Si les archives de l’USTM sont peu étoffées pour la période antérieure aux années 1970, il faut malgré tout signaler un dossier consacré à la Compagnie nationale des radiateurs (CNR), future « Ideal Standard » sur la grève menée en 1937 dans les usines du groupe et en particulier dans celle de Dammarie-lès-Lys pour empêcher les licenciements, le chômage partiel et la remise en cause des conquêtes sociales du Front populaire. Des recherches complémentaires, dans les archives publiques comme dans la presse ouvrière, permettrait sans aucun doute de combler cette lacune.

Ainsi, le dépouillement de L’Humanité permet de retracer quelques lignes sur l’usine Baldon, une entreprise d’une centaine de salariés spécialisée dans la production d’appareils téléphoniques implantée à Montereau en 1926. Une grève, menée en janvier 1928 pour protester contre le renvoi d’un militant syndical échoue. La direction en profite alors pour imposer une diminution des salaires. Revanche est prise en juin 1936. Après une semaine de grève, les salariés obtiennent la suppression du salaire à la tâche et des augmentations de salaires.

Après la Seconde Guerre mondiale, les luttes reprennent de plus belles à partir de l’année 1947 et durant les années 1950, comme en témoignent les documents qui suivent.

Un courrier de l’USTM de Seine-et-Marne adressé le 2 décembre 1947 aux syndicats des métaux du département sur la situation après quinze jours de grève – Archives USTM77 | Coll. IHS CGT Métaux

 

Une campagne de pétition menée par l’Union départementale de Seine-et-Marne en faveur des revendications des métallurgistes, 1950 – Archives USTM77 | Coll. IHS CGT Métaux

Les combats menés concernent principalement l’application de la convention collective de la métallurgie de la région parisienne au département, la revalorisation des salaires, dans un contexte de vives concurrences syndicales avec Force ouvrière et la CFTC. Je vous épargne ici les vifs échanges, à coup de tracts interposés !

La grève chez Jeumont-Schneider à Champagne-sur-Seine en mai-juin 1968 | Archives USTM77 | Coll. IHS CGT Métaux

Étonnamment, les grèves de mai-juin 1968 semblent avoir laissé peu de traces dans les archives de l’USTM, mais là encore, des investigations dans la presse ouvrière et les archives publiques permettrait d’en savoir davantage. Un  bref coup d’œil dans le Bilan social de l’année 1968, publié par la CGT permet de localiser deux exemples. Ainsi, à la CEGEDUR à Faremoutiers, les salariés ont obtenus la réduction progressive des disparités de salaires avec l’usine du Bourget, tandis que dans l’entreprise Nodet-Gougis à Montereau, les salariés ont obtenus une échelle mobile des salaires, c’est-à-dire un mécanisme indexant les augmentations de salaires sur l’inflation, ainsi que la réduction d’une heure de temps de travail par semaine, compensée à 80 %.

Ces victoires sont cependant de courte durée et la contre-offensive patronale ne tarde pas. Dès la seconde moitié des années 1970, les licenciements, la casse de l’outil industriel, les réductions imposées du temps de travail s’accroissent tandis que les libertés syndicales sont menacées, par des tentatives de licenciements de délégués syndicaux ou encore par des intimidations. Certaines luttes permettent malgré tout d’obtenir des choses, comme chez Chapui-Siry où les salariés arrachent en 1978 7 % d’augmentation des salaires et un 13e mois, tandis qu’au milieu des années 1980, les salariés parviennent à préserver pour un temps plus ou moins long leur outil de travail, comme pour la STEMP à Roissy, DEGOND à Provins ou encore la SAUER à Dammarie-lès-Lys.

À partir de la lutte victorieuse des cheminots en 1986, la combativité s’affirme à la fin des années 1980 :

  • DEGOND à Provins : + 5,5 % de salaires, 13e mois effectifs, obtention d’un plan d’investissement sur le parc des machines, installation de cabines contre le bruit et de protection contre les accidents
  • CEGEDUR à Coulommiers : plusieurs grèves sur l’emploi et les salaires
  • SOVIS à Meaux : grève victorieuse à 95 % des salariés en septembre 1988 pour empêcher le licenciement de trois salariés
  • NOURY à Tournan : obtention d’investissements avec achat de machines et de bâtiment et 8 embauches
  • DINACAST à Melun : 2,25 % d’augmentation en 1988 et prime d’été de 1000 à 1500 francs en juillet.

Mais c’est surtout la fameuse grève « des 1500 francs pour tous » à la SCNEMA Villaroche. De 1982 à 1988, le syndicat CGT de l’entreprise a travaillé avec les salariés contre la flexibilité, la sauvegarde de la sécurité sociale et l’augmentation des salaires, sans oublier les actions pour le lancement de l’A320 et le Rafale. En mars 1988, le mouvement démarre avec un comité de grève, avec un objectif : 1500 francs, car c’est le montant de la perte moyenne de pouvoir d’achat depuis 1982. Après 14 semaines d’action, dont 10 semaines de mise sous surveillance de l’entreprise, les 1500 francs pour tous n’ont pas été gagné. Mais ce combat a permis d’obtenir une prime de 1500 francs, en plus de 3,8% d’augmentation pour l’année 1988, un déblocage plus important d’augmentation individuelle et la revalorisation de certaines catégories comme les contrôleurs, ainsi que l’embauche d’intérimaires. Et surtout, le système de prévoyance a été étendu aux non-cadres (décès, invalidité, arrêts de travail, remboursement de soins).

 

En conclusion, j’espère vous avoir donné envie de mieux connaître l’histoire des luttes syndicales dans votre département. Ces quelques éléments témoignent en tout cas de la richesse de cette histoire et de l’apport qu’elle peut représenter pour votre activité syndicale quotidienne.

Merci pour votre écoute !

 

 

[1] Le terme « mensuels » désigne les employés, techniciens, dessinateurs et agents de maîtrise (ETDAM).