Ubérisation. Derrière le vernis technologique de ce terme en vogue se cache une entreprise de démolition du salariat, dont l’histoire est intimement liée à l’extension du capitalisme. La fin du salariat, revendiquée par Karl Marx en 1865 et par la CGT en 1895, est aujourd’hui brandie dans les débats d’actualité. Mais plutôt que d’abolir, il s’agit ici de démanteler les garanties collectives.
Une lente diffusion
Peu répandu, fragmenté dans ses formes avant le XIXe siècle, le salariat s’est peu à peu imposé comme la catégorie dominante du monde du travail. Comment ? Par la diffusion du mode de production capitaliste, et ce qu’il suppose comme développement industriel, commercial et bancaire. La structure sociale en a été bouleversée, le taux de salariat passant de moins de 50 % de la population active en 1830 à 62 % un siècle après.
Après la Seconde Guerre mondiale, les changements s’accélèrent avec l’extinction progressive du monde paysan, le déclin de l’emploi indépendant, la féminisation de l’emploi, l’accroissement des employés, ingénieurs, cadres, techniciens et agents de maîtrise et enfin l’apogée de la classe ouvrière, avant son recul à partir des années 1970. Le taux de salariat progresse avec constance jusqu’à atteindre 90 % après 2000.
Un objet de luttes
Le statut de salarié est d’abord régi par le code civil, promulgué en 1804 par Napoléon Bonaparte. Fondé sur le « louage d’ouvrage », c’est-à-dire « un contrat par lequel l’une des parties s’engage à faire quelque chose pour l’autre moyennant un prix convenu entre elles », ce statut est une fiction juridique, celle de l’égalité entre ouvrier et patron. Le respect des usages et des prix est garanti par les conseils de prud’hommes, fraichement créés.
Des décennies de luttes, de débats parlementaires et de jurisprudence sont nécessaires pour renier cette fiction et reconnaître l’existence d’un lien de subordination et d’une dépendance économique entre salarié et patron. Peu à peu, le salaire cesse d’être la simple rétribution d’une tâche pour donner accès à des prestations (retraites, maladie, accidents du travail, etc.), à des garanties collectives (contrat de travail, classification des emplois dans la branche, hiérarchie salariale, etc.).
La loi sur les accidents du travail (1898), le premier code du travail (1910-1927), les lois sur les conventions collectives (1919, 1936, 1971), les conquis de la Libération en matière de protection sociale, de comités d’entreprise et de classifications (1944-1947) ou encore l’assurance-chômage (1958) et la formation professionnelle continue (1971) sont autant d’exemples d’étapes dans la construction du statut salarié.
Un statut à défendre
Depuis 2000, le taux de salariat recule, avec la progression de l’emploi indépendant (auto-entreprenariat, société unipersonnelle, etc.), tandis que la flexibilité et la précarité, subies par la jeunesse et les sans-emplois, doit se généraliser à l’ensemble du salariat avec la mise en œuvre des contre-réformes gouvernementales et des projets du patronat, UIMM en tête avec son « nouveau dispositif conventionnel ». Lutter pour défendre nos droits est donc plus que jamais d’actualité !
Pour aller + loin
Robert Castel, Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat, Paris, Fayard, 1995.
Alain Cottereau, « Droit et bon droit. Un droit des ouvriers instauré, puis évincé par le droit du travail (France, XIXe siècle) », Annales. Histoire, Sciences sociales, 2002, n° 57-6, pp. 1521-1557.
Claude Didry, L’Institution du salariat : droit et salariat dans l’histoire, Paris, La Dispute, 2016.
Olivier Marchand, « Salariat et non-salariat dans une perspective historique », Économie et statistique, 1998, n° 319-320, pp. 3-11.
François Vatin et Sophie Bernard (dir.), Le salariat. Théorie, histoire et forme, Paris, La Dispute, 2006.